« Objet : Inclusion des Juifs de nationalité belge dans la déportation.
Conformément à l’ordre du Reichsführer SS, les Juifs de nationalité belge doivent maintenant être immédiatement inclus dans l’action de déportation. En outre, la saisie de personnes juives vivant illégalement ou pouvant être expulsées doit faire l’objet de poursuites vigoureuses.Veuillez prendre immédiatement les mesures nécessaires » Fritz Erdmann, Bruxelles, 29 juin 1943
© Mémorial de la Shoah, Parijs
L’Aktion Iltis frappe simultanément Bruxelles et Anvers. Elle doit débuter le vendredi 3 septembre à 23 h et s’achever à 6 h le lendemain matin. Le dispositif de la rafle est bien documenté. L’opération est menée très différemment des rafles de l’été 1942, au cours desquelles des quartiers entiers étaient ratissés par la Sipo-SD et ses auxiliaires allemands et belges. Titillés par le fantasme de la richesse des Juifs belges, la Sipo-SD et le Devisenschutzkommando (DSK), le Commando de protection des devises, disposent de listes des domiciles des Juifs nantis. L’organisation de la rafle n’est pas la même à Bruxelles qu’à Anvers.
Dans la capitale, Fritz Erdmann emploie les grands moyens. Il mobilise 14 véhicules, avec 14 hommes de la section IV, dont 7 employés de la section antijuive et 28 SS flamands du SD-Wachgruppe. Six SS flamands supplémentaires sont uniquement chargés de la surveillance des Juifs pris à leur domicile. Le dispositif est renforcé par l’ensemble des effectifs du DSK.

Le plan d’action de la rafle des Juifs belges établi par Fritz Erdmann, Bruxelles, 1er septembre 1943, © Mémorial de la Shoah, Parijs
Kurt Asche, le chargé des affaires juives de la Sipo-SD, s’occupe personnellement d’amener les Juifs arrêtés par le DSK au n° 510 de l’avenue Louise. Il bénéficie de l’assistance de deux hommes du SD-Wachgruppe et de deux chauffeurs du DSK.

Kurt Asche lors de son procès à Kiel © Het Nieuwsblad
Le SD-Wachgruppe, au camp de formation de Schoten, septembre 1942, © ARA, Krijgsauditoraat-Brussel
À Anvers, Erich Holm, responsable local de la question juive, n’a pas de moyens aussi importants que ceux déployés à Bruxelles. Il comble ce manque par un piège finement pensé. Quelques jours après les libérations de juin 1943, Erich Holm convoque les Juifs anversois qui ont été libérés de Dossin ainsi que 19 représentants de l’AJB dans ses bureaux, Della Faillalaan, 21. Quelque 130 personnes se présentent, espérant que les scellés placés sur leurs logements soient retirés et que les meubles saisis leur soient restitués. La plupart d’entre eux se trouvent dans le besoin et escomptent que leur situation revienne à la normale.

Erich Holm et ses SS, à Anvers, © ARA-SOMA-Brussel
Le jour de la rafle, Holm invite les intéressés à se représenter à son siège. Le traquenard est redoutable : encore confiants dans la protection qu’offre leur nationalité ou naïfs face aux intentions de la Sipo-SD, 111 personnes figurent parmi les déportés du 20 septembre 1943.

Bruxelles, 7 septembre 1943. Monsieur Haumont sollicite le Cardinal Van Roey afin qu’il intervienne pour faire libérer Esther Poons et Simon Schuller. Après avoir été libérés de Dossin en juin 1943, le couple de nationalité belge tombe dans le piège dressé par Holm. Simon Schüller décède à son arrivée à Malines. Esther Poons, âgée de 38 ans, est déportée par le convoi XXIIB. Elle ne survit pas. © Archives de l’archevêché & AGR, Police des Étrangers
En octobre 1943, selon Le Flambeau, organe clandestin du Comité de Défense des Juifs, « Malgré les déportations en masse des Juifs étrangers [...], les Juifs de nationalité belge se sont bercés dans l’espoir qu’ils ne seraient pas inquiétés. […] Il fallait posséder une dose considérable de naïveté pour [croire] aux promesses d’un Hitler et de ses acolytes ».



« Une grande victoire hitlérienne : la déportation des Juifs belges », dans Le Flambeau, octobre 1943. © AGR-CEGES-Bruxelles
Mais Erich Holm, soucieux de son efficacité, complète ce piège par des descentes domiciliaires, dont le bilan est lourd : 311 Juifs belges et 12 étrangers sont capturés. Mase Meitkes, une infirmière lituanienne de 34 ans témoigne : « Le 3 septembre 1943, au cours d’une rafle de Juifs, j’ai été arrêtée la nuit à mon domicile. Beaucoup d’Israélites avaient alors été capturés. C’était généralement des civils au service des Allemands qui opéraient la rafle. Il y en avait aussi en uniformes noirs. L’un d’eux possédait une liste des Israélites qui devaient être arrêtés. Nous avons été poussés dans des camions et amenés aux bureaux de la Sicherheitspolizei, Della Faillelaan, Anvers ».

Mase Meitkes, déportée par le Transport XXII A (A est mis pour Auslander, étranger), sous le numéro 545. Elle est l’une des 51 survivants du double transport du 20 septembre 1943. © AGR-Police des Étrangers-Bruxelles
Au total, 643 déportés, 593 Belges et 50 étrangers ou apatrides, sont pris au cours de cette rafle. Le dernier état des chiffres permet d’établir que 116 Juifs belges relâchés de Dossin en juin 1943 sont inclus dans ce nombre. Malgré le déploiement de grands moyens dans la capitale, seuls 209 Juifs, 171 Belges et 38 étrangers ont été capturés, tandis qu’à Anvers, on dénombre 432 déportés arrêtés cette nuit-là.
Bilan de la rafle par ville / commune
|
Domicile
|
Belges
|
Étrangers
|
Total
|
Anvers
|
380
|
12
|
392
|
Antwerpen — Berchem
|
19
|
0
|
19
|
Antwerpen - Borgerhout
|
21
|
0
|
21
|
Kalmthout
|
2
|
0
|
2
|
Bruxelles
|
41
|
18
|
59
|
Bruxelles - Anderlecht
|
31
|
7
|
38
|
Bruxelles — Etterbeek
|
7
|
0
|
7
|
Bruxelles — Evere
|
2
|
0
|
2
|
Bruxelles — Forest
|
8
|
0
|
8
|
Bruxelles — Ixelles
|
14
|
0
|
14
|
Bruxelles — Jette
|
7
|
1
|
8
|
Bruxelles — Koekelberg
|
3
|
0
|
3
|
Bruxelles — Molenbeek
|
2
|
2
|
4
|
Bruxelles — Saint-Gilles
|
18
|
3
|
21
|
Bruxelles — Saint-Josse
|
5
|
1
|
6
|
Bruxelles — Schaerbeek
|
21
|
6
|
27
|
Bruxelles — Uccle
|
5
|
0
|
5
|
Bruxelles — Woluwé
|
7
|
0
|
7
|
Total
|
593
|
50
|
643
|
Quelques cartes d’identité de Juifs belges raflés lors de l’Aktion Iltis et déportés à Auschwitz-Birkenau, © AGR-AVG-Bruxelles / Kazerne Dossin